Les étapes de réalisation d’un remède à base de plantes
Depuis que j’enseigne l’herboristerie je reçois souvent les mêmes questions sur la façon d’aborder les plantes lorsque l’on veut préparer des remèdes. J’ai petit à petit moi-même développer une sorte de méthode, afin d’éviter de cueillir tout ce que je trouve sur mon chemin sans forcément en avoir besoin. Car c’est souvent un peu le problème, on cueille avant de savoir ce que l’on va faire d’une plante, et les questions sont souvent « j’ai cueilli ceci, que puis-je faire avec ? ». Hors si vous ne savez pas quoi faire d’une plante, ne la cueillez pas ! La question à se poser avant de cueillir est « quel est mon besoin, et quelle plante peut répondre à ce besoin ? ».
Voici quelques étapes pour vous permettre de structurer votre pratique lorsque vous souhaitez vous initier à la préparation de remèdes à base de plantes.
1. Définir son besoin
Lorsque l’on se tourne vers la nature pour se soigner, c’est souvent pour répondre à une problématique particulière, ou tout simplement pour élaborer quelques préparations en prévention une situation, comme des remèdes d’hiver par exemple. Il n’est pas nécessaire de tout cueillir, tout récolter, plusieurs plantes peuvent avoir des effets thérapeutiques similaires, tout comme une seule plante peut répondre à différentes intentions thérapeutiques, le plus important est de définir quels sont vos besoins.
Par exemple :
– Je souhaite réaliser un remède pour ma peau
– Je souhaite réaliser un remède pour soulager les douleurs articulaires
– Je souhaite créer une pharmacie maison pour les maux d’hiver
– Etc.
Lorsque l’on s’intéresse aux plantes, nous avons beaucoup trop l’habitude de cueillir avant de réfléchir à nos préparations, et l’on peut vite se retrouver avec des plantes séchées ou des préparations qui finiront par être jetées. Le pire est de cueillir des plantes et de ne finalement pas savoir quoi en faire une fois rentré à la maison…
Nous ne sommes pas seuls au sein de cette grande nature, il existe des milliers d’être visibles et invisibles à l’œil nu, qui dépendent de tout un écosystème. Aujourd’hui nous assistons par ailleurs à un effondrement massif de la biodiversité. Soyons conscients et respectueux, si nous ne connaissons pas une plante, ou si nous ne savons pas quoi en faire, permettons nous simplement de la contempler, de profiter de sa présence, et de la laisser continuer sa vie.
2. Définir les propriétés médicinales recherchées
Une fois que vous aurez défini votre besoin, il vous faudra définir les propriétés médicinales recherchées. Cela demande un peu de connaissance, mais avec l’expérience, cela viendra petit à petit. Vous pouvez également vous référez à quelques ouvrages.
Pour reprendre l’un de nos exemples plus haut, mon besoin est :
« je souhaite réaliser un remède pour ma peau »
Il vous faudra donc définir les propriétés médicinales recherchées en lien avec le système cutanée. Ai-je besoin d’un remède avec des propriétés cicatrisante, hydratante, anti-inflammatoire, apaisante, anti-acnéique, etc. ? Il peut y avoir bien sûr une combinaison de plusieurs propriétés médicinales, et l’avantage avec le monde des plantes, c’est qu’elles ont souvent plusieurs actions grâce aux nombreux constituants qu’elles contiennent.
3. Quelles plantes répondent à mon besoin ?
Maintenant que nous avons défini notre besoin et les propriétés médicinales recherchées, il nous faut nous poser cette question : quelles sont les plantes qui auront les effets thérapeutiques souhaitées ? Et pour répondre à cette question, il nous faudra également être très vigilent aux « sources » que nous consultons.
Lorsque l’on débute, la difficulté est de trouver des informations fiables sur les plantes. Le problème étant aujourd’hui que de nombreux livres et informations sur internet comprennent des informations qui n’ont pas été réellement vérifiées et expérimentées par l’auteur, on reste sur un savoir théorique plus que pratique, et l’on en arrive à des raccourcis, des informations mal comprises, et à terme de nombreux biais.
Quelques pistes de recherches :
– Le site Wikiphyto, créé par le docteur Jean-Michel Morel, ancien élève du Dr Jean Valnet, contient de nombreuses informations sérieuses et de qualité. https://www.wikiphyto.org/
– Le site web de Christophe Bernard reste une référence de qualité, et vous retrouverez toujours les sources de ce qu’il mentionne à la fin de ses articles, ce qui permet ensuite de continuer ses propres recherches : www.altheaprovence.com
Ressources scientifiques :
– « Pharmacognosie » de Jean Bruneton est une référence incontournable concernant l’étude des principes actifs des plantes. Par contre l’ouvrage date de 2013, et depuis tout ce temps, de nombreuses recherches ont évoluées. 10 ans pour la recherche scientifique, c’est beaucoup, d’où l’importance de se maintenir à jour. Si ce livre est hors de votre budget et que vous êtes en Belgique, vous le trouverez chez Folia Officinalis (bibliothèque dédiée à l’herboristerie).
– « Du bon usage des plantes qui soignent » de Jacques Fleurentin est également une ressource intéressante, ou les plantes sont répertoriées en fonction des différents systèmes (respiratoire, immunitaire, cardiovasculaire, tégumentaire, …)
– « Le grand manuel de phytothérapie » d’Eric Lorrain. J’ai remarqué que ce livre peut être plus difficile à aborder pour les néophytes. Par contre il contient de nombreuses références scientifiques pour chaque portrait de plantes. On espère dans le futur que d’autres plantes s’y ajouteront, car présentement il peut être un peu frustrant de ne pas retrouver certaines favorites des herboristes, bien que l’ouvrage soit déjà très complet.
– Et bien sûr https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/ (axé sur la recherche médicale, vous trouverez de nombreuses études sur les plantes) ou encore https://scholar.google.com/ (recherches scientifiques plus générale)
Personnellement quand je lis ou entends « des sources disent que… », ou « des études disent que … » mais que la personne ne donne aucun lien ni aucune référence de ses sources, je ne perds pas de temps et je passe à autre chose, car nous n’avons aucune possibilité de vérifier ce qui est avancé, et il est donc impossible de savoir si la personne a bien compris l’étude en question, et si ses sources sont fiables.
Il n’est pas rare que des informations soient partagées partiellement, sorties de leur contextes, ou encore de façon mal comprises. Partager une source, c’est aussi permettre de faire avancer la recherche, la connaissance et la transmission autour des plantes, afin que chacun puisse regrouper les informations et avoir une vision plus large des sujets abordés.
Ressources populaires, usages traditionnels :
« Le chemin des herbes » de Thierry Thévenin
« Les plantes sauvages » de Thierry Thévenin
« Le livre des bonnes herbes » de Pierre Lieutaghi
Parenthèse sur la tradition empirique vs recherche scientifique
Dans le milieu des médecines alternatives, souvent quand nous ne trouvons pas d’informations scientifiques sur un sujet, un argument courant est « la tradition empirique » ou encore « c’est ancestrale ».
Oui, c’est vrai, la recherche scientifique n’a pas validée toutes les connaissances transmises depuis des siècles sur les plantes médicinales.
Oui, c’est vrai, des molécules en laboratoire font rarement cas du totum de la plante, et l’on sait que certaines molécules prisent séparément n’ont pas la même efficacité que cette même molécule au sein d’une plante au milieu de dizaines d’autres constituants.
Parfois cette molécule n’aura aucun effet, ou parfois prise isolée elle sera très puissante et on préfèrera l’interdire, alors que la consommation d’une plante contenant cette molécule ne posera aucun problème puisqu’elle agira en synergie. Il n’y a pas une seule conclusion à tirer, et chaque sujet est à prendre dans sa globalité.
Néanmoins la recherche nous permet aujourd’hui de valider ou d’invalider de nombreuses connaissances sur les plantes. Des nombreuses études ont été faites sur les plantes médicinales avec des groupes de personnes ayant consommées ces plantes selon des protocoles précis, puis évalués via des analyses précises, ce qui nous a permis de comprendre et de valider au fil des années si certaines plantes avaient les effets thérapeutiques revendiqués ou non. Personnellement je trouve ces recherches vraiment précieuses. Régulièrement lorsque je prépare des remèdes j’ai l’envie de faire tester mes produits et de comparer les résultats, dans une logique de toujours mieux comprendre le monde végétal et par extension proposer des produits ou des conseils pertinents, au delà des effets de mode ou des arguments marketing.
Aussi, c’est grâce à la science que nous ne pouvons plus être accusé par n’importe quelle voisin de sorcellerie pour une mauvaise récolte, un décès familiale, etc.
Donc la science n’a pas que du mauvais, et les scientifiques ne sont pas tous des personnes corrompues mal intentionnées, à la botte de « Big Pharma ».
Néanmoins, il est vrai que l’herboristerie et la connaissance de nombreuses médecines traditionnelles reposent sur des transmissions depuis plusieurs siècles, voir plusieurs millénaires pour l’ayurvéda, ou la médecine chinoise par exemple. Nous pouvons donc nous appuyer sur des traditions qui, lorsqu’elles sont pratiquées de façon authentique, peuvent nous apporter une autre regard sur notre relation à la santé. Mais j’insiste sur le terme authentique. Aujourd’hui les formations et certificats fleurissent de toute part, et il est facile de tomber dans l’écueil de justifier une pratique par une « tradition empirique », alors qu’elle n’a rien d’empirique du tout… Souvent elle ne figure dans aucun texte ni livre ancien, et les préparations sont souvent des préparations très récentes, apparut depuis 2, 3 décennies tout au plus…
À titre d’exemple, l’huile végétale est devenue aujourd’hui très accessible et l’on y fait macérer toutes sortes de plantes qui ne présentent aucun intérêt sous forme de macérats huileux, les composants de ces plantes n’étant pas du tout liposoluble… J’ai d’ailleurs retrouvé récemment en magasin biologique des macérats huileux d’ortie ou de trèfle élaborés par des artisans, revendiqués comme soulager les douleurs articulaires en massage sur la zone concernée, grâce à leur richesse en minéraux. Hors les minéraux sont des sels, principalement solubles dans l’eau ou dans le vinaigre, mais pas du tout dans un macérat huileux. De plus, pour profiter de cette action grâce aux minéraux, il faut les ingérer, donc les consommer en interne. Les minéraux ne traversent pas la barrière cutanée comme cela par magie… Même chose pour les plantes riches en tanins, ceux-ci ne sont pas extraits dans l’huile, donc un macérat huileux de ces plantes pour « tonifier les tissus cutanés », « galber le buste », « diminuer les rides » ne semble vraiment pas une galénique appropriée.
Un autre exemple, la médecine chinoise est de plus en plus utilisée par les herboristes, surtout depuis que l’on préconise des plantes adaptogènes pour la plupart issues de la pharmacopée chinoise. Au sein de cette médecine, il est souvent fait mention du « Maître du Coeur ». Hors nous avons une belle explication de Philippe Sionneau qui nous explique que le Maître du Cœur n’existe pas en médecine chinoise…
4. Sous quelle forme prendre ma plante ?
C’est souvent cet aspect qui est mal compris lorsque l’on parle des plantes médicinales, et c’est là où j’insiste souvent le plus dans mes transmissions et mes publications. Ici aussi, il va falloir définir dans un premier temps des sources sérieuses pour bien comprendre les phytoconstituants de notre plante, et comment bien les extraire pour un effet optimal.
Encore une fois, je vous invite à être très vigilent sur les sources que vous consultez.
Ensuite il faudra un peu de temps, de patience, d’études minutieuses et d’expériences pour cibler la meilleure façon de consommer votre plante. Ses constituants sont-ils mieux extraits dans l’huile, l’eau, l’alcool, le vinaigre, etc. ?
Je vous ai déjà partagé quelques articles très succincts sur le sujet, mais le mieux est de vous plonger dans le monde fascinant de la phytochimie ! Vous trouverez déjà beaucoup d’informations dans les références mentionnées plus haut. Si vous n’avez pas le temps de vous plonger dans ces notions plus approfondies, les quelques références déjà citées restent des sources fiables, mais soyez toujours vigilants. Personnellement je ne suis pas toujours d’accord à 100% avec tout ce qu’il se dit sur les plantes, et je me méfie beaucoup des arguments « c’est empirique », « c’est traditionnel », « tout le monde fait comme cela ». Car souvent beaucoup de choses qui se disent n’ont rien d’empirique ni de traditionnel, et par ailleurs la tradition est loin d’être toujours pertinente. Et surtout, expérimentez par vous mêmes, c’est la meilleure école !
Il sera parfois nécessaire de combiner plusieurs types d’extractions, l’une dans l’huile et l’autre dans une infusion ou via un hydrolat afin de réaliser une crème par exemple. Il est possible également de consommer des plantes en poudre, ou directement comme aliments via de délicieuses recettes savoureuses.
Le mieux est de combiner un remède qui va permettre de bien extraire vos principes actifs, sans perdre de vue la facilité de prendre ce remède. Pour certaines personnes, il peut être difficile de se faire des décoctions de racines trois fois par jour à cause de leur travail et préfèreront une alcoolature à prendre en goutte même si ce n’est pas le plus optimal, d’autres ne pourront pas boire d’alcool pour diverses raisons, ou encore, si vous souffrez de douleurs ou de fièvre au point de ne pas pouvoir vous lever pour vous faire une infusion, il vous faudra aller vers de remèdes rapides et faciles à consommer.
Il faudra également tenir compte du temps de conservation. Une infusion ne pourra se conserver que 2,3 jours au frigo, alors que les alcoolatures peuvent se conserver plusieurs années. Les cosmétiques pour la peau se conservent de quelques semaines à un an. Les vinaigre, sirop, macérat glycéré etc., ont des durées de conservations assez variables.
5. Posologie
La posologie est également importante à prendre en compte.
En général, pour des traitements de fond et des douleurs chroniques, on se tournera vers des dosages pour important mais seulement une à deux fois par jour. Par contre, en cas d’allergie, ou de crise aiguë (fièvre, douleurs menstruelles, diarrhée, …), il est courant de prendre des dosages plus petit, mais de manière répétée, parfois jusqu’à 7 fois sur la journée.
Exemple :
En cas de réaction allergique au pollen en début de printemps, on pourra prendre 5 à 10 gouttes de teintures d’ortie à 15 minutes d’intervalle.
En cas de fièvre à cause d’une grippe, on pourra prendre 15 à 20 gouttes de teinture de baies de sureau toutes les deux heures, maximum 7 fois sur la journée.
Pour soutenir le système cardiovasculaire, notamment en cas de palpitation et de tension élevée, on pourra prendre 60 gouttes d’alcoolature de cenelles d’aubépine 2 fois par jour (matin et soir), durant plusieurs mois, voir plusieurs années.
Pour aider à récupérer après un burn out ou une convalescence, on pourra prendre 60 gouttes d’alcoolature de basilic sacré 2 fois par jour durant trois à six mois.
Ce ne sont que des exemples, qui ne dispensent bien sûr pas d’un avis médical, et qui doivent être adapté au cas par cas.
En espérant que ces quelques informations puissent vous aider à établir une manière simple et créative de travailler avec les plantes médicinales.
Jess
Herboriste et poétesse