Lettre importante ~ j’arrête mes transmissions.
J’enseigne autour de l’herboristerie mais également autour de diverses approches corporelles depuis 2017. J’ai offert de nombreuses transmissions sous forme de stages, retraites, ateliers et transmissions en ligne, jusqu’à arrêter cette activité depuis juin 2023. Je ne sais pas encore si je transmettrai à nouveau dans le futur, pour l’instant je ressens le besoin d’une prise de recule profonde sur le métier d’herboriste. Je vous partagerai plus en détails prochainement différents aspects qui m’ont déçus, voir peinés autour de l’intérêt et l’effet de mode grandissant autour des plantes.
Je reste toujours passionnée et dévouée aux plantes médicinales. Mais je ne souhaite pas que mon influence encourage d’autres à utiliser les plantes médicinales d’une mauvaise manière, sous prétexte de se relier à la nature. Une ” reconnexion à la nature ” peut en effet trouver racine dans un pratique autour des plantes médicinales, les récolter, les cueillir, les utiliser pour soi. Et j’ai toujours été partisante de transmettre la connaissance des Simples au plus grand monde afin d’ouvrir un regard sur les richesses de la nature. Le problème aujourd’hui est que cela crée l’effet inverse. Au lieu de la préserver, nous la pillons. Dès qu’une personne s’intéresse aux plantes médicinales, rapidement il y a une volonté de vouloir en faire un commerce, soit à travers la commercialisation de produits à base de plantes, soit à travers des formations ou des accompagnements thérapeutiques. L’offre n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui, ce qui est quelque peu paradoxale avec un argument fréquent qui critique ” Big Pharma” de faire du profit avec des médicaments sur le dos des gens…
Il est évident que le commerce des produits naturels suit la même tendance, et ce même auprès des artisans, paysans, etc. et non pas uniquement des laboratoires de compléments. De plus en plus de personnes proposent tout une panoplie de remèdes à base de plantes, avec des indications thérapeutiques plus ou moins approximatives. Peu prennent le temps de comprendre réellement les propriétés d’une plante, et encore moins d’étudier la chimie verte, l’anatomie et la physiologie. La naturopathie et la nutrithérapie, que j’ai moi même étudié, regorgent de concepts n’ayant aucun fondements médicales, et lorsque l’on étudie en profondeur les processus du corps humain, c’est d’une évidence flagrante.
Aujourd’hui nous cueillons des plantes, les faisons macérer dans plus ou moins n’importe quel solvant, revendiquant des techniques “traditionnelles” ou “ancestrales” qui n’ont en fait souvent rien de très ancestrales. A titre d’exemple, les macérats huileux … Personne ne se demande depuis combien de temps l’humanité à accès à des huiles végétales, telles que l’huile d’olive, l’amande douce, tournesol, etc. Ces produits sont des produits de luxe, nous l’oublions aujourd’hui car nous y avons accès très facilement. Et ces produits dans lesquels nous faisons macérer des plantes n’existent que depuis quelques décennies, et n’ont absolument rien d’ancestrales… L’argument ” d’usage millénaire” ne tient souvent pas la route, et c’est tant mieux, car les techniques de soin employées il y a plusieurs siècles n’ont pas grand chose à voir avec la vision romantisée que nous nous faisons de l’herboristerie aujourd’hui… Pour en revenir à notre exemple de macérats huileux, on voit pourtant un commerce extrêmement abondant de macérats huileux à base de toutes sortes de plantes dont les principes actifs ne sont pas du tout solubles dans l’huile (ni dans l’alcool quand on souhaite réaliser un macérât par intermédiaire alcoolique). Le macérat de consoude ou de plantain en sont un exemple.
La tradition nous montre que ces plantes étaient utilisées principalement en cataplasme de plantes fraîches et en compresses de plantes infusées. Pourtant, combien d’huiles et de baumes de plantain et de consoude retrouvons-nous ?
Ce genre de prise de conscience et de questionnements on été une grande claque dans ma pratique. J’ai remis en question tout mon travail, arrêté de commercialiser nombreux de mes produits alors qu’il y avait de la demande, et je me sens de plus en plus mal à l’aise de transmettre des informations qui apparaissent de plus en plus floues et controversées.
Et bien souvent, lorsqu’on ne sait pas expliquer en détails ce que nous faisons quand nous utilisons les plantes, revient sans cesse l’argument de la “vibration subtile“, justifiant que les plantes ne sont pas qu’un ensemble de principes actifs. Je suis tout à fait d’accord sur ce point, néanmoins je ne supporte plus que l’on utilise cet argument sans aucune réflexion derrière, pour justifier une lacune de connaissances sérieuses et approfondies. A titre d’exemple, un hydrolat d’ortie qui ne contient aucun minéraux (puisque ceux-ci ne sont pas volatiles) ne va pas reminéraliser une personne en carence, vibration subtile ou non. les hydrolats n’ont par ailleurs jamais été considérés comme ” l’âme de la plante ” par les anciens alchimistes, mais bien comme le phlegme que l’on cherchait justement à éliminer dans les différents procédés que l’on appelle ” Solve et coagula ” en alchimie, à savoir ” séparer et réunir “. Encore une réappropriation erronée utilisé pour vendre des produits….
Il est encore plus surprenant d’entendre que si cela ne fonctionne pas, c’est parce que la personne est “en résistance“. Comment peut-on tenir se discours à des personnes devant faire face à de réelles souffrance physique depuis des années?
Je crois que les plantes peuvent nous accompagner sur un plan émotionnelle, psychique, et c’est pourquoi je développe une approche sensible et poétique. Ce lien à la nature, et retrouver nos racines est absolument fondamental. Je m’oppose par contre fermement à cette mode exponentielle de véhiculer des informations entretenant une approche New âge sur l’usage des plantes médicinales, particulièrement comme argument marketing pour vendre des produits, des accompagnements ou des formations. Travailler avec les plantes médicinales demandent des connaissances sérieuses et approfondies, et je pense que même après une formation solide dans une école, ces compétences ne sont pas acquises. On évoque aussi souvent les “anciens” qui se transmettaient les connaissances de famille en famille. Oui, il y avait une tradition, mais fortement différentes des personnes qui étaient médecins. Par ailleurs les plantes médicinales faisaient parties d’un quotidien, il n’y avait pas de “coupure” dans la transmission comme c’est le cas pour la majorité d’entre nous aujourd’hui, et tout le monde ne se mettait pas à soigner ou vendre des produits du jour au lendemain. La “bobologie” est quelque peu différentes de se prendre pour un médecin ou un thérapeute. Enfin les transmissions se faisaient auprès de personnes qui avaient des décennies d’expérience, pas après une formation ou quelques stages, manquant souvent d’une expérience pratique approfondie et d’une connaissance intime avec les plantes qui demandent des années de relations quotidiennes…
Raison pour laquelle, après me former inlassablement depuis des années, je suis de moins en moins convaincues par de nombreuses informations qui circulent et qui sont transmises autour des plantes, qui ressemblent finalement plus à des croyances qu’à une réelle expertise. Nous ne faisons plus l’effort d’étudier, et par conséquent il est plus simple de revendiquer une approche mystique, spirituelle, ésotérique, vibratoire, énergétique… Ainsi, au milieu de personnes ayant réellement étudiées, et ayant une réelle approche spirituelle des plantes, on retrouve de plus en plus de personnes trouvant une légitimité à pratiquer sans connaissance approfondie, se lançant du jour au lendemain sur les réseaux sociaux pour lancer leur nouvelle reconversion, dont certains mettant au passage en danger la vie de personnes avec des informations erronées, et décrédibilisant en plus un métier déjà fragile.
Je suis également sur un chemin spirituel depuis de nombreuses années ou les concepts “d’énergie” ne sont pas étrangers, mais ce chemin concerne ma vie privée, et ne sera jamais, en aucun cas, utilisé comme un argument marketing pour pallier à un besoin de retrouver du sens dans un monde en perdition. Je n’ai clairement pas les compétences d’un maître spirituel ni d’un psy ou d’un thérapeute pour prétendre accompagner qui que ce soit avec ” l’âme des plantes “.
Il y a également un sérieux problème concernant la préservation de la ressource. Nous pensons que la majorité des plantes poussent en abondance, et que l’on peut se servir pour vendre toute sorte de produits car nous valorisons un métier “proche de nature“. Sauf qu’aujourd’hui, la pression sur les espaces naturels, qui sont déjà très vulnérables à cause du réchauffement climatique, de l’urbanisation et de l’agriculture intensive, s’intensifie de plus en plus également par la pratique des herboristes amateurs ou professionnels. Ici aussi, nous ne prenons pas le temps de nous renseigner, de connaître la législation, les bonnes pratiques, et on se dit que ce n’est pas quelques kilos de plantes récoltées qui vont changer grand chose. Au vue du nombre croissant de personnes qui cueillent eu sauvage, OUI, cela change énormément de chose ! Pour rappel, nous sommes en train de vivre la 6ème extinction de masse, dans la plus grande indifférence générale…
Ce sont tous ces aspects que je ne souhaite plus encourager, raison pour laquelle aujourd’hui je ne souhaite plus transmettre, et je ne sais pas combien de temps cela va durer. Je ne souhaite pas être une influence qui contribue à nuire à la nature et à la biodiversité. Je ne souhaite pas non plus influencer des personnes à se lancer dans l’accompagnement et le conseil envers des personnes ayant de réelles souffrance physique et souffrant déjà bien assez d’errance médicale.
Et pour terminer, je suis moi-même dans une remise en question de tout ce que j’ai appris depuis 2008, et ce même dans les écoles les plus réputées. Le temps, la pratique et l’expérience me confronte à beaucoup de choses qui ne sont pas cohérentes, tant dans l’approche de différents déséquilibres (qui ne sont rien d’autres que des pathologies et que nous n’avons normalement pas le droit de soigner), que sur l’utilisation et la transformation de plantes (notamment dans différents solvants) qui ne semblent pas cohérents du tout. Je suis actuellement dans une phase où je dois déconstruire tout ce que j’ai appris, et ce peu importe l’influence de certains herboristes connus sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Se dire “oui mais tel personne (connue) l’a dit” n’est pas un argument valable pour moi. On appelle cela un argument d’autorité, et cela n’a pas sa place dans ma pratique.
Aujourd’hui, je souhaite réellement prendre soin de la nature et de la biodiversité. Et ce n’est pas en allant toujours chercher ce qu’elle m’offre gratuitement pour en faire un business (même “éthique”) que je me reconnecte à la nature et que j’en prends soin, au contraire. Pour être plus en accord avec mon cœur et mon chemin de vie, je m’oriente aujourd’hui vers l’agriculture régénérative, le concept du jardin forêt, comment régénérer nos sols, encourager la biodiversité et soigner nos arbres, avant que tout ne s’écroule définitivement. Je me sens bien plus en accord d’apporter quelque chose à la nature qui, même si cela ne me sert pas à moi aujourd’hui, servira, je l’espère aux générations futures.
Mes seules transmissions aujourd’hui sont les articles que je publie et partage gratuitement sur mon blog ainsi que sur mes réseaux sociaux Instagram et Facebook. Je publierai de plus en plus d’articles concernant mes recherches approfondies sur certaines propriétés médicinales, même si cela vient complètement remettre en question ce que tout le monde fait. Je commence à avoir l’habitude d’être à contre courant dans le milieu de l’herboristerie, voir de me faire détester parce que je remets en cause certaines pratiques… Cela ne m’empêchera pas de cultiver ma sensibilité et ma poésie au quotidien, que cela soit à la roseraie, au jardin des Simples ou dans la création dans notre Jardin forêt avec mon Bien aimé, cueilleur sauvage et distillateur, dans notre petit coin reculé du Vercors.
Amicalement,
Jess